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Déclaration du Greffier Adama Dieng au sujet des questions relatives à la défense des personnes accusées

Conscient de la nécessité de conduire des procès équitables, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, par l’intermédiaire du Greffe, commet d’office à ses frais des conseils aux accusés n’ayant pas les moyens d’assurer leur propre défense. Un concours supplémentaire considérable est prêté aux équipes de la défense, des bureaux, services de télécopie, de téléphone, de transport et de bibliothèque, etc., étant mis à leur disposition, et ce chaque fois qu’ils sont à Arusha pour les procès ou autres activités connexes, sans compter que l’obtention de visas leur est facilitée pour leurs déplacements officiels. L’indépendance de la Défense a été scrupuleusement respectée par les Chambres et le Greffe du Tribunal.

Plusieurs avocats de la défense et d’autres membres des équipes de défense ont fait montre d’un sens élévé de la déontologie dans leurs rapports avec le Tribunal. Cependant, des indices d’abus de ce régime d’assistance juridique ont conduit le Bureau des services de contrôle interne du Secrétariat (le Bureau) à mener une enquête qui s’est soldée par un rapport sur un éventuel partage d’honoraires entre conseils de la Défense et détenus indigents du Tribunal pénal international pour le Rwanda et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

L’enquête en question a conclu à l’existence d’abus du régime juridique des deux Tribunaux : dans les deux Tribunaux, certaines équipes de la Défense ont engagé comme enquêteurs des amis ou des parents de leurs clients ; d’autres au TPIR ont offert des cadeaux ou d’autres formes d’aide indirecte aux parents de leurs clients ; dans les deux Tribunaux, il a été proposé à plusieurs anciens conseils de la défense, qui l’ont accepté, de partager leurs honoraires avec leurs clients. Bien que le Bureau soit en possession de renseignements fiables sur un éventuel partage d’honoraires, il n’a pas réuni suffisamment de preuves allant dans ce sens.

Compte tenu de l’arrestation d’un suspect, Siméon Nchamihigo, ancien enquêteur de la défense, et après avoir dûment étudié les conclusions et recommandations du rapport du Bureau, le Greffe du TPIR a adopté une série de mesures destinées à prévenir tout abus du régime d’assistance juridique et à sauvegarder l’intégrité de la justice devant le Tribunal, dont :

  • Des restrictions imposées aux dons de cadeaux par les équipes de la défense à leurs clients ;
  • La fouille corporelle stricte des personnes qui rendent visite aux détenus ou s’entretiennent avec eux au Quartier pénitentiaire des Nations Unies, conformément à l’article 61 du Règlement portant régime de détention du Tribunal ;
  • L’interdiction faite aux membres des équipes de la défense de s’entretenir avec des accusés autres que leurs propres clients lorsqu’ils se rendent au Quartier pénitentiaire ;
  • L’obligation faite à toutes les personnes engagées comme enquêteurs par les conseils de la défense de remplir une notice personnnelle à l’effet d’y fournir tous renseignements sur leurs antécédents afin de s’assurer, notamment, qu’elles n’ont aucun lien avec les personnes détenues par le Tribunal. Les renseignements demandés à ces candidats ne sont pas aussi détaillés que ceux exigés des fonctionnaires de l’ONU. Autrement dit, la mesure ne revêt aucun caractère discriminatoire ;
  • Une enquête plus poussée sur les enquêteurs de la défense potentiels et en service afin de s’assurer qu’aucun membre de l’équipe de la défense n’a fait usage d’une fausse qualité pour être engagé ou n’a été mêlé à des activités incompatibles avec le mandat du Tribunal ;
  • La mise en place par le Greffier d’un comité interne chargé de revoir le régime d’assistance juridique.

D’aucuns ont cru voir, à tort, dans ces mesures une entreprise sur l’indépendance de la Défense. Il n’en est rien. Ces mesures sont nécessaires pour s’assurer que les ressources financières affectées par les Etats membres à la fourniture d’une assistance juridique aux fins de procès équitables ne soient pas l’objet d’abus, et que des personnes qui ne devraient pas participer aux travaux d’un Tribunal créé pour rendre justice dans le cadre du génocide rwandais s’y trouvent associées de quelque façon. D’autres mesures seront prises dans ce sens selon que de besoin. Bien entendu, les équipes de la défense respectueuses de la déontologie et les personnes qui n’ont rien à cacher n’ont rien à craindre.

Il convient, s’agissant de cette question de la défense des personnes accusées, de rappeler certaines décisions récentes prises par les juges de ce Tribunal qui ont clarifié des aspects de l’activité juridique/judiciaire et de la politique du Tribunal qui ont souffert d’idées fausses ou de déformations délibérées.

  • Commission d’un conseil de la défense à l’accusé indigent. C’est là un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre par le passé. Dans son arrêt rendu le 1er juin 2001 en l’appel formé par Jean-Paul Akayesu contre son jugement et sa sentence pour génocide et crimes contre l’humanité, dans lequel il a relevé comme motif d’appel qu’il n’avait pas eu le droit de choisir son propre conseil, la Chambre d’appel a conclu ce qui suit : « La Chambre d’appel considère qu’en principe, le droit à l’assistance gratuite d’un avocat ne confère pas le droit de choisir celui-ci. Le droit de choisir son avocat est uniquement garanti aux accusés qui peuvent assumer financièrement les frais d’un conseil. » La Chambre d’appel rappelle la pratique du Tribunal en l’espèce : « La commission d’un conseil à un accusé indigent est effectué par le Greffier à partir d’une liste de conseils disponibles, qu’il considère qualifiés en fonction des critères officiels du Tribunal. Certes, en pratique, l’accusé indigent a la possibilité de choisir parmi les avocats figurant sur la liste […]. Il n’en reste pas moins que le Greffier n’est pas forcément lié par les vœux de l’accusé indigent et a un large pouvoir d’appréciation, qu’il exerce dans l’intérêt de la justice. » (Non souligné dans l’original).
  • Indépendance du Tribunal. Dans son arrêt du 1er juin 2001 sur les appels interjetés par Clément Kayishema et Obed Ruzindana contre leur jugement et leur condamnation par la Chambre de première instance II, la Chambre d’appel à conclu que : « ...Les activités des autres oganes des Nations Unies n’ont aucune incidence sur l’indépendance et l’impartialité du Tribunal. En outre, le Tribunal lui-même n’est pas impliqué dans les événements qui ont eu lieu au Rwanda en 1994, étant donné qu’il n’existait pas encore. » Quant aux relations entre le Tribunal et le Rwanda, la Chambre a statué ce qui suit : « La Chambre d’appel est convaincue que le simple fait que le Tribunal entretienne de bonnes relations avec le Gouvernement du Rwanda ou bénéficie de sa coopération ne signifie pas qu’il n’est pas indépendant. Le Tribunal dépend de la coopération des Etats pour accomplir son mandat ; hormis des affirmations générales, Kayishema n’apporte pas de preuve de l’existence d’une pression quelconque exercée sur le Tribunal en l’espèce. ».
  • Egalité des armes entre le Procureur et la Défense. A cet égard, la Chambre d'appel dans l'affaire Kayishema/Ruzindana a déclaré que : " Il est clair que dans la pratique, l'égalité des armes entre la défense et l'Accusation ne signifie pas nécessairement l'égalité matérielle de disposer des mêmes ressources financières ou en personnel… L'égalité entre les parties ne doit pas être confondue avec l'égalité des moyens et des ressources. La question est de savoir si les dispositions de l'article 20 (2) et 20 (3) ont été respectées.
  • "
  • Impartialité du Tribunal. Il va sans dire que le Tribunal est impartial vis-à-vis de l'Accusation et de la Défense. Dans le jugement rendu par la Chambre de première instance dans l'affaire le Procureur c. Ignace Bagilishema, le 7 juin 2001, la Chambre a acquitté Bagilishema au motif que le Procureur n'avait pas prouvé la culpabilité de l'accusé au-dela de tout doute raisonnable. Dans l'appel Kayishema/Ruzindana, la Chambre d'appel a rejeté l'appel du Procureur au motif qu'il avait été déposé hors délais. Et dans le cas de l'enquêteur de la Défense susmentionné récemment arrêté, le Tribunal a rejeté une requête du Procureur aux fins de communication des documents saisis sur Nchamihigo. Le Tribunal a au contraire ordonné que ces documents soient remis au conseil de la défense de Nshamihigo.

Ces décisions ont réaffirmé et clarifié certains principes juridiques fondamentaux sur lesquels repose le travail des Chambres et du Greffe : l'équité, l'impartialité, l'égalité des parties devant la justice administrée par le Tribunal, la présomption d'innocence de l'accusé jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie au delà de tout doute raisonnable, et le respect du droit de l'accusé à avoir un conseil commis d'office tout en reconnaissant que cet accusé n'a aucun droit à un avocat de son choix.

Le Greffier sait infiniment gré aux conseils de la défense du soutien et de la coopération qu'ils ont prêtés jusqu'ici au Greffe, par le biais de leurs représentants officiels avec lesquels il a eu des entretiens très constructifs et positifs sur diverses questions. Le Greffier reconnaît le rôle fondamental et la contribution de tous les conseils de la Défense aux procès et espère pouvoir toujours compter sur leur compréhension afin d'assister le Greffe dans l'accomplissement de son mandat.

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