La Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda a fait droit à la requête du détenu Jean-Bosco Barayagwiza et ordonné sa libération inconditionnelle et immédiate au motif que sa détention prolongée sans procès, imputée principalement aux carences du Procureur, équivaut à une violation de ses droits fondamentaux.
Dans son arrêt en date du 3 novembre 1999, la Chambre d’appel, siégeant à La Haye et composée des juges Gabrielle Kirk McDonald, Président, Mohammed Shahabuddeen, Lal Chand Vohrah, Wang Tieya et Rafael Nieto-Navia, a annulé à l’unanimité l’acte d’accusation au préjudice du Procureur, ordonné la libération immédiate de Barayagwiza et, par quatre voix contre une (celle du juge Shahabuddeen), ordonné au Greffier de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de remettre l’appelant aux autorités du Cameroun, pays d’où Barayagwiza avait été transféré au Tribunal le 19 novembre 1997.
La Chambre d’appel a relevé que la procédure engagée a accusé des lenteurs lors de la détention de celui-ci au Cameroun et son transfert au Tribunal. Ancien directeur des affaires politiques au Ministère des Affaires étrangères du Rwanda au moment du génocide et membre fondateur de la Radio Télévision des Mille Collines, Barayagwisa est poursuivi pour six chefs d’accusation : de génocide, complicité dans le génocide, incitation à commettre le génocide et crimes contre l’humanité. Lors de sa comparution initiale du 23 février 1998, il a plaidé non coupable et a déposé le lendemain une requête demandant l’annulation de son arrestation. En septembre 1998, la Chambre de première instance II entendait la requête pour la rejeter le 17 novembre. Le 27 novembre, Barayagwisa faisait appel de la décision.
Dans son arrêt, la Chambre d’appel a examiné les droits garantis à l’accusé par le Statut du Tribunal et par divers instruments internationaux sur les droits de l’homme et a conclu que le Procureur a manqué à son devoir en ne prenant pas les dispositions nécessaires pour faire transférer l’appelant au Quartier pénitentiaire du Tribunal, dans un délai raisonnable. La Chambre a aussi estimé que les droits de Barayagwiza d’être rapidement informé des charges retenues contre lui ont été violés par le Procureur lors de sa première détention au Cameroun. De plus, elle a relevé que la comparution initiale de Barayagwiza ayant eu lieu 96 jours après son transfert, son droit de comparaître sans délai devant une Chambre de première instance a été violé.
La Chambre d’appel a aussi estimé que le défaut (par la Chambre de première instance) de statuer dans les délais sur la demande d’habeas corpus (assignation pour contester la légalité de la détention d’une personne) formée par Barayagwiza a violé le droit de ce dernier en la matière.
Deux juges désapprouvent les directives données au Greffier
Dans une déclaration jointe à l’arrêt, le juge Nieto-Navia précise sa position s’agissant des directives adressées au Greffier afin qu’il prenne les mesures nécessaires pour remettre l’appelant aux autorités camerounaises : « Je ne suis pas convaincu qu’il soit judicieux de demander au Greffier de prendre les mesures nécessaires pour remettre le demandeur aux autorités camerounaises » a-t-il déclaré. Le juge Nieto Navia est d’avis que la Chambre d’appel du Cameroun ayant rejeté la demande rwandaise d’extradition et ordonné la libération immédiate de l’appelant : « Le Cameroun n’est pas tenu de recevoir ce dernier sur son territoire, à moins qu’il n’envisage de le poursuivre en justice ». Au regard de ces circonstances, le Greffier doit prendre attache avec les autorités camerounaises et ne remettre l’appelant que s’il le juge approprié.
Dans une opinion séparée, le juge Shahabuddeen désapprouve les directives données au Greffier par ses pairs : « L’appelant doit simplement être remis en liberté et des moyens raisonnables lui être fournis pour lui permettre de quitter la Tanzanie s’il le désire ». Au demeurant, le juge Shahabuddeen approuve la décision.
Le Greffier du Tribunal, en application de l’arrêt de la Chambre d’appel, a entamé des démarches en vue de la remise en liberté de Barayagwiza.