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Déclaration du juge Pillay, Président du Tribunal

 Bureau du Président

Diverses personnes m’ayant fait part de leur préoccupation quant à la manière dont un témoin a été traité alors qu’il déposait sur une affaire de viol devant nos Chambres de première instance, j’ai demandé qu’il soit procédé à l’examen des procès-verbaux des audiences pertinentes.

L’affaire en question concerne un procès intenté contre six accusés : Pauline Nyiramasuhuko, Arsène Shalom Ntahobali, Alphonse Nteziryayo, Elie Ndayambaje, Joseph Kanyabashi et Sylvain Nsabimana. Ils sont accusés de crimes particulièrement graves tels que le génocide, l’entente en vue de commettre le génocide, la complicité dans le génocide, les crimes contre l’humanité et les violations graves de l’Article 3 commun aux Conventions de Genève. L’un des accusés était une personnalité éminente du Gouvernement et les autres étaient des personnalités de premier plan de la préfecture de Butare au Rwanda.

Il est à noter que c’est le 10 novembre 2001 qu’un article intitulé Unprotected Witness (témoin non protégé) et publié sur Internet a pour la première foi rendu publique l’allégation selon laquelle les juges siégeant dans cette affaire se seraient mis à rire de façon inconvenante lors de la déposition dudit témoin. Dans ledit article, diverses critiques ont certes été adressées aux juges. Il importe toutefois de noter que rien dans l’article en question ne permet de dire que les juges se sont moqués du témoin ou qu’ils se sont mis à rire à tel ou tel moment de sa déposition[1].

Il importe également de noter qu’il ressort d’un examen des cassettes audio-visuelles enregistrées sur l’audience du 31 octobre 2001 que l’article en question n’est rien d’autre qu’une déformation de la scène qui s’est déroulée dans la Chambre de première instance. Il est manifeste que le Président de Chambre avait à plusieurs reprises essayé d’amener la Défense à poser des questions plus pertinentes et plus précises dans le cadre du contre-interrogatoire du témoin[2]. Il ressort également clairement des cassettes audio-visuelles que la réaction des juges qualifiée d’inconvenante dans l’article résultait de réponses aux questions du Conseil de la Défense, et faisait suite à un dialogue entre eux et ledit Conseil.

Le juge sait qu’il siège sous le regard inquisiteur de nombreux observateurs. Si d’aventure il fait l’objet de critiques de la part de la presse ou du public, il ne peut en retour se permettre ni d’y répondre, ni de s’en défendre. Il ne peut davantage se permettre de descendre dans l’arène pour expliquer au public la manière dont il conduit un procès en cours. Il est donc absolument nécessaire que ceux dont la tâche est de tenir le public informé de la conduite des procédures judiciaires le fassent de façon responsable.

La conduite d’un procès peut à maints égards susciter à juste raison la critique de ceux qui ne sont pas investis de la délicate mission de procéder à des arbitrages entre le droit à un procès équitable reconnu à l’accusé et la nécessité de protéger les victimes et l’intégrité de la procédure. La longueur de l’interrogatoire auquel le conseil soumet le témoin est souvent fonction d’autres décisions portant par exemple sur le nombre d’accusés visés par un acte d’accusation ou mis en cause par la déposition d’un témoin. S’il n’est pas de règle absolue régissant la longueur des dépositions de témoins, il n’empêche que les Chambres de première instance ont à cœur de limiter l’interrogatoire des témoins aux seules questions pertinentes relativement aux faits de la cause dont ils sont saisis.

Il serait déplacé pour un juge, fût-il le Président du Tribunal, de débattre sur la place publique de la façon dont ses pairs conduisent un procès en cours. Les questions à trancher sont presque toutes encore pendantes et si, pour une raison ou une autre, un commentaire émanant du Tribunal devrait être formulé, il ne saurait l’être qu’après la conclusion des procédures.

Les juges du TPIR sont quotidiennement habités par le souci de rendre le moins pénible possible l’épreuve réelle que constitue la déposition pour ceux qui viennent témoigner devant les Chambres de première instance. Les juges ont joué un rôle actif dans le processus de planification qui a permis au Tribunal de mettre en place un régime de protection de témoins auquel on fait parfois le reproche d’assurer à ceux qui en bénéficient une trop large protection. Chaque témoin appelé à la barre est accompagné d’un agent qui a pour mission de s’occuper de lui comme il se doit. Tout témoin appelé à déposer à Arusha bénéficie à tous les stades de ce processus de l’assistance du personnel du Tribunal.

Je suis sensible à l’intérêt manifesté par tous ceux qui ont exprimé leur souci de voir nos témoins protégés contre toutes les formes de mauvais traitement : c’est un souci que nous partageons. Et lorsque ce souci se conjugue à une appréciation correcte des faits, il est possible de dire, sans risque de se tromper, que nous oeuvrons tous pour la même cause, à savoir faire en sorte que l’intégrité du processus judiciaire demeure la voie royale pour arriver à la compréhension de la vérité.

Le Président Juge Navanethem Pillay - - - - -

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[1]Il n’est pas sans intérêt de noter que bien qu’une telle allégation n’est pas portée dans l’article en question, les articles subséquents qui s’en sont inspirés n’ont pas fait preuve de la même réserve. Si leurs auteurs avaient pris le soin de procéder aux vérifications requises avant de publier, l’énorme erreur d’interprétation qu’on constate aujourd’hui ne se serait pas produite. À titre d’exemple, contrairement à ce qu’on a pu rapporter, il n’est pas vrai que les juges se sont mis à rire pendant qu’une des victimes relatait devant le Tribunal les conditions dans lesquelles elle avait été violée. Il résulte d’un autre récit que des groupes de défense des droits des victimes avaient fait grief aux juges de s’être ouvertement moqués du témoin… Une fois de plus, un examen des faits aurait montré que tel n’était pas le cas. Un organisme de presse, qui avait pris la peine de vérifier les faits et de s’enquérir auprès de certains observateurs qui avaient suivi les débats, a donné une interprétation différente des faits allégués. Cela étant, il y a lieu de déplorer qu’en commentant ces événements, le Procureur ne s’en soit pas tenu aux termes de la mise en garde initiale qu’il avait lui-même adressée au public, à savoir qu’il serait inconvenant pour un Procureur de faire des commentaires sur le comportement d’un juge ou sur un procès en cours. Parce qu’elles s’apparentent précisément à ce type de commentaires, les commentaires subséquents n’ont pas servi la cause de la justice.

[2]Il est à noter que le 31 octobre 2001, le Président de Chambre est intervenu au moins 159 fois pour recentrer ou faire avancer le contre-interrogatoire de la Défense. Il convient également de noter qu’à plusieurs reprises au cours de l’interrogatoire principal, le Président de Chambre a demandé au Procureur de faire preuve de sensibilité à l’égard du témoin ; c’est ainsi par exemple que le 7 novembre 2001, le Président de Chambre s’est exprimé en ces termes : la Chambre de première instance voudrait faire remarquer ce qui suit sur la base des commentaires du Procureur : premièrement, dès le début de la déposition du présent témoin, il est demandé au Procureur et à la Défense, en leur qualité d’officiers ministériels, de faire preuve de sensibilité à l’égard de ce témoin, relativement à certaines des questions qui font l’objet de sa déposition, et ce, pour des raisons évidentes.

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