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Déclaration du Greffier, M. Adama Dieng, sur le Rapport de l’International Crisis Group

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a pris connaissance, à travers des communiqués de presse et autres informations, d’un rapport critique émanant de l’International Crisis Group (ICG), daté du 7 juin 2001 et intitulé : « Tribunal pénal international pour le Rwanda : L’urgence de juger ». Ce rapport fait un certain nombre d’affirmations graves dont la plupart sont propres à induire en erreur. Certaines, peut-être, vraies il y a quelques années ou quelques mois, ont été rendues caduques par les réformes opérées par le Tribunal et l’accélération des instances judiciaires au cours de l’année passée. D’autres cependant, intéressent principalement des acteurs extérieurs au Tribunal tels que les Etats-membres des Nations unies, et ont trait à des questions et à des facteurs qui ne relèvent pas de la compétence ou du contrôle du Tribunal.

La quintessence du rapport de l’ICG est contenue dans le communiqué de presse publié par l’organisation en prélude au rapport, daté du 7 juin 2001. D’après le communiqué : « Le verdict rendu aujourd’hui à Arusha par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, dans l’affaire Ignace Bagilishema, n’est que le neuvième en sept ans : le bilan est lamentable. Le Tribunal pour le Rwanda ne remplit pas son mandat premier : rendre justice au peuple rwandais et établir la mémoire des faits. Nous ne connaissons toujours pas les auteurs du génocide. Si le Tribunal peut revendiquer une réussite de taille en la détention de l’ancien Premier ministre rwandais, Jean Kambanda, les suspects les plus importants courent toujours ». Dans son résumé, le rapport affirme que «pour la majorité des Rwandais », le TPIR est «une institution inefficace » ; ils le trouvent lointain et indifférent à leur sort ; tandis que d’autres l’accusent de pencher en faveur du régime de Kigali, «le symbole d’une justice de vainqueur ».

Bien que d’avis que son bilan, son impartialité et son utilité sautent aux yeux, le Tribunal croit toutefois devoir apporter les éclaircissements suivants à l’intention de l’opinion publique :

Les trois chambres de première instance du Tribunal sont chacune saisies d’au moins deux procès, dont plusieurs sont des jonctions d’instance. Au total, neuf personnes sont en cours de jugement dans cinq affaires. Un sixième procès concernant six accusés commencera demain, 12 juin. Ainsi, dans les prochaines 24 heures, 15 accusés seront jugés devant le TPIR. D’autres procès commenceront dans le courant de l’année. On voit donc qu’il s’agit là d’un rôle judiciaire chargé. Autrement dit, le Tribunal fait exactement ce qu’il est censé faire : conduire des procès dans le but de rendre justice relativement au génocide rwandais. Par conséquent, l’impression que donne le rapport d’ICG est fausse et ne traduit pas la réalité du terrain à Arusha.

Par le passé, il a été reproché au Tribunal sa lenteur, non sans raison. Cependant, les juges ont peu à peu aménagé le Règlement de procédure et de preuve afin d’accélérer le rythme des procès sans compromettre l’intégrité et la crédibilité de la justice. La nouvelle stratégie du Procureur consistant à joindre les instances des personnes accusées d’entente et de participation aux mêmes crimes devrait accélérer les activités du Tribunal à moyen, sinon à long, terme. En fait, c’est la préparation de cette stratégie –obtenir des juges l’autorisation d’apporter des modifications aux actes d’accusation initiaux dans le sens de cette nouvelle approche, opération qui n’était pas sans poser de complexes questions juridiques- qui a pu faire croire, à tort, à l’inactivité des juges pendant plusieurs mois. La cadence soutenue et le volume actuels des procès en sont l’aboutissement.

Nous ne partageons pas la conclusion de ICG selon laquelle le TPIR n’a pas identifié les auteurs du génocide. D’abord, la réponse complète à cette question est forcément un processus et non un événement. C’est la raison pour laquelle un processus judiciaire a été établi par les Nations Unies pour apporter une réponse à cette question.

Ensuite, le Tribunal, dans une mesure non négligeable, a apporté une réponse. Les jugements qu’il a rendus sont entrés, et c’est un processus continu, dans les annales de l’histoire. Le génocide a été planifié et commis par des individus jadis puissants tels que l’ancien Premier ministre rwandais, Jean Kambanda ; l’ancien gouverneur de Kibuye, Clément Kayishema ; l’ancien maire de Taba, Jean-Paul Akayesu ; et plusieurs autres jugés coupables par le Tribunal –certains après avoir avoué leurs crimes. Conformément aux normes les plus strictes des droits de l’homme, les accusés comparaissant devant ce Tribunal sont présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit prouvée. Plusieurs autres hauts responsables du Gouvernement intérimaire de Kambanda de 1994, dont des ministres, des responsables de partis politiques et d’autres personnalités, sont actuellement poursuivis.

Le Tribunal pense qu’il est déplorable que ICG tente de minimiser l’importance que revêt le verdict Kambanda pour le Rwanda et sur le plan international. L’aveu et la condamnation pour génocide de l’ancien Premier ministre du Rwanda a été dans ce pays un moment cathartique dans le processus de guérison à la suite du génocide. Au niveau international, le jugement Kambanda –toute première condamnation pour génocide dans l’histoire prononcée contre un chef de gouvernement- a établi un précédent important concernant la responsabilité judiciaire des grands chefs politiques et militaires en matière de crimes contre les droits de l’homme, et l’efficacité de la justice pénale internationale en général. L’événement a eu lieu avant l’affaire de l’ancien responsable chilien, Augusto Pinochet, et la mise en accusation de M. Slobodan Milosevic, ancien Président de la République fédérale de Yougoslavie, par le Tribunal pénal international pour l’ancienne Yougoslavie.

La grande majorité des Rwandais s’intéressent encore plus aux travaux du Tribunal et lui apportent leur soutien. Ce revirement dans les relations entre le Rwanda et le Tribunal est le résultat du rayonnement progressif du Tribunal, de sa plus grande visibilité au Rwanda grâce au Programme d’information «outreach » qu’il y mène, et au Programme d’assistance aux témoins et aux témoins éventuels, que ICG a reconnu être des résultats positifs. S’il est possible de faire davantage pour améliorer l’impact du TPIR au Rwanda, ce n’est pas l’utilité du Tribunal dans ce contexte qui est en cause, et celui-ci n’est plus considéré par la plupart des Rwandais comme lointain et inaccessible. Au contraire, la réaction générale des Rwandais face au Tribunal est exactement à l’opposé de l’image dépeinte par le rapport d’ICG.

Les Rwandais savent que Kambanda et les autres responsables du génocide qui ont fui le Rwanda après le génocide étaient totalement hors de portée de leur pays, et que si le Tribunal international de céans ne poursuivait pas ces personnes, celles-ci échapperaient certainement à la justice. Elle est là, l’utilité fondamentale du TPIR pour le Rwanda. Le TPIR est un tribunal ad hoc et il ne peut pas se substituer à l’Etat rwandais et à son système judiciaire dans leur responsabilité à long terme. Par ailleurs, comme l’a indiqué Mme le Procureur, celle-ci a la ferme intention de mettre en accusation les membres du Front patriotique rwandais contre lesquels des preuves d’atrocités auront été réunies.

Le rapport d’ICG méconnaît le contexte dans lequel le Tribunal mène ses activités, créant ainsi une image déformée. Le TPIR ne fonctionne pas depuis sept ans comme le dit le rapport. Il a été officiellement créé par la résolution 955 du Conseil de sécurité, le 8 novembre 1994. Mais la résolution établissant le Tribunal à Arusha a été adoptée par le Conseil de sécurité en février 1995, les premiers juges ayant été élus par l’Assemblée générale en mai 1995 et le premier greffier, en septembre 1995. Le premier acte d’accusation du Tribunal a été confirmé et délivré en novembre 1995. Le TPIR est donc effectivement opérationnel depuis un peu plus de cinq ans. Des déclarations sensationnelles sur la longévité du Tribunal n’aident pas l’opinion publique à comprendre l’institution.

Le Tribunal a connu des débuts difficiles pour deux raisons : il est situé dans une petite ville d’un pays en voie de développement. Les infrastructures requises qui auraient permis une mise en place plus facile des tâches complexes de la Cour n’existaient tout simplement pas sur le terrain et il a fallu une somme considérable d’improvisation. Pour cette institution pionnière, c’était comme naviguer dans des eaux juridiques et opérationnelles inexplorées. Les premiers retards enregistrés dans le décollage effectif du Tribunal ne doivent donc pas être une source d’étonnement pour l’observateur averti. Mais en fait, tout cela est de l’histoire ancienne. Le TPIR est désormais une institution totalement opérationnelle qui remplit efficacement la mission qui lui a été confiée, grâce aux réformes novatrices et systématiques de son appareil administratif et judiciaire, et de son Règlement de procédure.

Inutile de préciser qu’à l’instar de n’importe quelle autre institution, le TPIR n’est pas parfait et encourage la critique constructive. C’est la raison pour laquelle le Tribunal déplore de ne pas avoir été officiellement informé ou consulté par ICG dans la préparation du rapport en question, conformément à la pratique en pareille circonstance. Cet indicateur fondamental de transparence aurait conféré au rapport l’avantage d’une perspective plus juste. Conséquence de ce grave vice de procédure, le rapport d’ICG, comme on l’a déjà dit, contient de nombreuses affirmations dépassées et inexactes, qui donnent au public une fausse image du travail du TPIR.

Enfin, il est important de faire remarquer que les juridictions pénales sont rarement appréciées de leur existence. Instruments à la recherche de la justice et non concours de popularité, leurs décisions et activités sont regardées différemment par des intérêts divergents à des moments différents. Le recul permet de mieux en apprécier l’incidence. Ce fut le cas pour le Tribunal de Nuremberg. Dans plusieurs années, il apparaîtra clairement, et c’est notre conviction intime, que le TPIR a dûment rempli son mandat : poursuivre en justice les personnes responsables du génocide et autres graves violations du droit humanitaire au Rwanda en 1994, et contribuer ainsi à la réconciliation nationale dans ce pays. Le soutien et la coopération qu’accordent à ce processus continu plusieurs Etats membres des Nations Unies, en particulier, et de la communauté internationale, en général, sont grandement appréciés par le Tribunal.

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